La Résidence de France à La Havane [es]

Témoin architectural du « Carnaval des styles »

La façade arrière - JPEG

Au coin de la rue 10 et de l’avenue Septima dans le quartier de Playa, non loin du Puente de Hierro qui mène au Vedado, se trouve la Résidence de France, joyau patrimonial du quartier, à l’image de nombreuses demeures construites dans les riches et folles années 1920. Edifiée par la famille Valle qui en a été propriétaire jusqu’à sa nationalisation en 1962, à la suite de la Révolution cubaine, l’édifice a fait l’objet, depuis 2019, d’un vaste programme de rénovation afin d’entretenir et de valoriser sa richesse architecturale et le beau parc qui l’entoure.

Contexte historique

Alors que la Première Guerre mondiale fait rage en Europe, la production sucrière cubaine est en plein essor. L’Europe, elle, est en ruines et a besoin de sucre. Cuba est devenue en 1919 l’un des premiers producteurs mondiaux d’« or blanc ». L’industrie sucrière permet à d’immenses fortunes de se constituer : c’est ce qu’on appelle la « danse des millions ». Les historiens cubains désignent sous le nom de « saccharocratie » ces puissantes familles propriétaires de l’industrie du sucre, qui constituent à cette époque l’« aristocratie 1 » cubaine.

Lorenzo Estanislao del Valle y Grau et son épouse Paula Goicoechea y Durañona, installés à La Havane, appartiennent à ce groupe social. Ils sont tous deux issus de familles d’origine espagnole arrivées à Cuba à la fin du XVIIème siècle dans les villes de Sancti Spiritus et Trinidad. Ils possédaient plusieurs ingenios azucareros (centrales sucrières) et ganaderias (fermes d’élevage).

L’architecture, comme bien souvent, est alors utilisée comme marqueur social par cette aristocratie qui cherche à se distinguer de l’élite intellectuelle du Vedado dont le goût est porté vers le classique Art Déco.

Jusque dans les années 1910, c’est en effet l’Art Déco et l’Art Nouveau qui prédominent à La Havane (outre les nombreux édifices dans la ville, voir les collections du Musée des Arts décoratifs de La Havane). L’aristocratie issue de l’industrie du sucre va se distinguer en déployant, jusqu’à la fin des années 20, une architecture appelée par les Cubains le «  Carnaval des styles ». Il s’agit d’un mouvement à travers lequel l’abondance d’argent se reflète dans une explosion de styles. L’architecture est alors une démonstration de l’exubérance de la richesse, notamment en référence à la Renaissance italienne. Cet éclectisme architectural et décoratif est particulièrement présent à La Havane dans les années 1920.

L’architecte Rafael de Cárdenas y Culmell

C’est l’architecte Rafael de Cárdenas y Culmell, l’un des plus prolifiques de sa génération, qui sera choisi par la famille Valle pour ériger la maison. Né en 1902 dans une famille vraisemblablement aisée, il termine ses études vers 1923. Très actif durant la première moitié du XXème siècle, il est honoré à trois reprises de la « médaille d’or » qu’octroyait le collège des architectes. Il a construit de nombreux édifices publics et privés à La Havane, dont la résidence actuelle de l’ambassadeur du Mexique, voisine, qui appartenait aussi à la famille Valle. Il est également l’architecte de l’hôpital Cira Garcia, à Playa, dont le style est beaucoup plus sobre, ou encore de la résidence Jaimanitas, aujourd’hui résidence de l’ambassadeur du Canada, dans le style dit de la Renaissance espagnole, mélange d’un style colonial cubain avec un style beaucoup plus « hollywoodien ». Cette dernière demeure avait été commandée par le couple Jane et Grant Mason, connus pour leur relation étroite avec l’écrivain Hemingway.

S’inspirant de la « Ca d’Oro », palais qui surplombe le Grand Canal à Venise, c’est vers le gothique vénitien tardif que se tournent Lorenzo Estanislao del Valle y Grau et son épouse Paula Goicoechea y Durañona. La façade sur jardin est la plus spectaculaire et, dans le plan d’origine, il était prévu que soit construit au bord même de la terrasse un vaste bassin, qui aurait joué le rôle d’un miroir pour refléter la façade. Ce projet n’a jamais été mené à bien.

La famille Valle est l’une des premières familles à quitter Cuba après la révolution conduite par Fidel Castro qui prend le pouvoir en 1959. Elle s’exile alors aux Etats-Unis, au Mexique et en France et confie les clés de la maison et son mobilier à l’ambassadeur de France pour la préserver. En 1962, elle n’échappe pas au mouvement de nationalisation et la famille Valle en perd le titre de propriété.

La grande salle à manger
Le salon
L'escalier de l'entrée

Description des lieux

Devenue la résidence de l’ambassadeur de France, cette demeure a fait l’objet de rénovations successives et d’une opération majeure de restauration menée en 2019 et 2020, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, afin de revaloriser le patrimoine architectural, historique et politique qu’elle représente. Parmi les éléments remarquables de la rénovation, on peut souligner la remise en état de la majestueuse porte d’entrée en verre et fer forgé, la réfection, à l’étage, de la terrasse nord et de trois chambres d’invités, de la façade principale et du sol en marbre de la terrasse principale, ainsi que de la très belle bibliothèque avec sa petite chapelle.

Conçue pour une vie de famille, la maison compte un vaste salon, deux salles-à-manger, une bibliothèque-chapelle et cinq chambres principales. Il existe également des chambres sous les combles. Si la circulation dans l’espace est organisée de manière fonctionnelle pour l’époque, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. En effet, les cuisines sont au sous-sol, comme dans toute maison bourgeoise du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Par ailleurs, la maison comprend deux escaliers : un escalier de service, très peu pratique, pour le personnel de service, et un escalier principal, réservé initialement aux maîtres des lieux. Si, à l’époque, cela permettait d’éviter aux employés de croiser les résidents, cette configuration n’est plus adaptée au XXIe siècle.

La bibliothèque-chapelle est l’une des plus belles pièces de la maison. Cette pièce, adjacente au salon, est entièrement revêtue de bois de cèdre et les planches de bibliothèque sont en acajou. La chapelle a été remise en état et revalorisée lors des travaux de rénovation entrepris en 2019 et 2020. On trouve les armoiries et la devise de la famille Valle2 sur les vitraux de la bibliothèque –réalisés en France- ainsi que sur la cheminée du grand salon. Comme pour de nombreuses maisons construites à La Havane à cette époque, cette cheminée n’est que décorative.

L’architecture à cette époque s’accompagne toujours de mobilier et de design assorti à l’intérieur. C’est l’apanage de l’Art Déco et des noms aussi connus que Daum, Majorelle, Lalique ou Baccarat s’invitent à La Havane. Si la résidence de France ne peut se vanter d’être associée à de tels noms, une partie du mobilier est encore d’origine et a été rénovée entre 2019 et 2021. Ce mobilier est inscrit à l’inventaire du mobilier cubain mais sa propriété reste rattachée à la Résidence.

Le jardin a lui aussi été entièrement reconfiguré et paysagé en 2019 et comprend un espace consacré au potager ainsi qu’un poulailler.

La façade arrière
Larésidence vue par Amandine, 8 ans.
La façade arrière par l'artiste Virginie Broquet
La résidence vue par Inès, 6 ans

1 Généralement associé à la noblesse européenne, le terme « aristocratie » fait ici plutôt référence à la haute bourgeoisie industrielle et commerçante et non aux familles issues de la noblesse espagnole établies à Cuba.

2 «  El que mas vale no vale mas que Valle vale »

Dernière modification : 23/09/2022

Haut de page